Mycoses et allergies broncho-pulmonaires
Avec une approche différente de la discussion de cas classique, le nouveau format de la manifestation Lungs on Fire a donné à l’événement un caractère aussi détendu qu’instructif. La première table ronde était consacrée à une forme inhabituelle d’allergie pulmonaire.
Le Dr Paul Stoll, PD, Service de pneumologie, Hôpitaux universitaires de Rostock, a présenté le cas d’un patient de 63 ans venu en consultation ambulatoire de l’asthme en février 2024 (1).
Présentation du cas clinique
Dans ses antécédents, on note plusieurs affections, notamment un asthme et des allergies aux graminées, aux pollens et à la pénicilline. Il lui a donc été prescrit une trithérapie à faible dose.
Par ailleurs, il avait une polyneuropathie progressive, des antécédents de pneumonie et un statut après arthroplastie de la hanche. Il faut également mentionner un tabagisme à 15 paquets-années jusqu’au sevrage en 2020.
Depuis le début de l’année, il a une toux avec expectorations de mucosités épaisses, jaunes et vertes, ainsi qu’une fièvre persistante depuis des semaines, atteignant 39,3 °C, avec sudations nocturnes et perte pondérale de 8 à 10 kg. Un traitement antimicrobien à base de fluoroquinolone et de macrolide s’est montré inefficace.
Baisse significative de la CVF et du VEMS
Le premier coup d’œil a suffit pour comprendre que ce patient était malade, a résumé le Dr Stoll. Les tests de laboratoire actuels n’ont rien montré d’inattendu : CRP élevée (151 mg/l), légère leucocytose (12,6 Gpt/l), nombre d’éosinophiles (Eos) limite (230/µl), FeNO élevée à 50 ppb.
La radiographie thoracique a montré une hyperdensité dorsale gauche, et la spirométrie une diminution significative de la CVF et du VEMS. À ce stade de la description, les experts réunis sur l’estrade (voir encadré à gauche) ont formulé une première appréciation. De toute évidence, c’est plutôt la composante restrictive qui est en cause, et non l’obstruction. La DLCO n’a toutefois pas pu être mesurée car le patient toussait trop fort.
Détection d'Hæmophilus influenzæ
L’étape logique suivante a consisté à faire un scanner, a poursuivi le Dr Stoll. Celui-ci a révélé un épaississement significatif des voies respiratoires, principalement dans les régions pulmonaires centrales, ainsi que des bronchectasies, en partie encombrées de mucus. On notait en outre des foyers, de grands infiltrats nodulaires et en verre dépoli. Le radiologue présent dans la salle a ajouté le high-attenuation mucus (HAM), c’est-à-dire du mucus de haute densité, comparable radiologiquement à la musculature de la paroi thoracique.
Selon le Dr Stoll, la bronchoscopie a mis en évidence des sécrétions abondantes, purulentes et visqueuses, prédominant aux lobes inférieurs. Le lavage broncho-alvéolaire (LBA) a révélé la présence d’Hæmophilus influenzæ. « Au vu de la CRP élevée et de l’imagerie, il faut d’abord prendre cela comme une cause potentielle de l’aggravation aiguë », a commenté le spécialiste. La PCR multiplexe a confirmé le résultat que d’autres agents pathogènes des voies respiratoires – habituellement impliqués, y compris le SARS-CoV-2 – n’étaient pas détectables.
Les soupçons se portent d’abord sur Hæmophilus
Ni l’examen microscopique et la PCR du LBA, ni la biopsie du lobe inférieur gauche n’ont révélé la présence de mycobactéries. La culture de champignons du LBA contenait quelques Candida albicans. Les résultats cytologiques du LBA (46 millions de cellules/ml, 95 % de neutrophiles) semblant compatibles et l’histologie de la biopsie bronchique n’ayant révélé ni granulome ni signe de processus malin, les collègues en ont conclu qu’Hæmophilus devait être à l’origine de l’atteinte.
Ils ont donc instauré un traitement antibiotique supplémentaire, tout en poursuivant les investigations diagnostiques. Après tout, ni un carcinome ni une infection mycobactérienne atypique ne pouvaient être exclus avec certitude à ce stade, selon le Dr Stoll.
Hypothèse d'une aspergillose broncho-pulmonaire allergique (ABPA)
Interrogé sur le diagnostic, l’auditoire a voté par téléphone portable pour une aspergillose broncho-pulmonaire allergique (ABPA). Le groupe d’experts a également recommandé des tests de recherche d’Aspergillus. En effet, l’IgE totale était nettement plus élevée (965 kU/l), a révélé le Dr Stoll. Mais des IgE spécifiques n’ont pas pu être mis en évidence. L’un des experts a alors objecté qu’il eût fallu mesurer en plus les anticorps anti-Candida : « Ce n’est pas forcément une ABPA, cela peut aussi être une MBPA (mycose broncho-pulmonaire allergique) ».
Bien entendu, le Dr Stoll et ses collègues ont également envisagé cette hypothèse et leurs recherches ont été fructueuses : « Le titre de Candida n’était pas particulièrement élevé avec 1,66 kU/l, mais il était détectable », a expliqué le Dr Stoll. La détection de Candida dans le LBA conjointement à d’autres critères (voir encadré ci-contre) ne suffit toutefois pas pour poser le diagnostic de MBPA.
Traitement et Suivi
Comment traiter en présence d’un un tel tableau clinique ? Par un corticoïde inhalé ou systémique (OCS) à haute dose pour maîtriser la réaction allergique ? Par un antifongique pour éliminer le champignon ? Ou par la combinaison d’un OCS et d’un antifongique ? « Si nous partons du principe qu’il s’agit d’une MBPA, nous ne donnerions en premier lieu qu’un OCS », selon le consensus des experts présents. Si l’OCS est contre-indiquée, p. ex. en raison d’un diabète sévère, l’antifongique seul serait une alternative. La combinaison « est en fait réservée aux récidives ».
Mais nos spécialistes sont tout de suite passés à la vitesse supérieure. « Nous avons prescrit la combinaison d’emblée car le patient présentait une symptomatologie marquée qui durait depuis un certain temps, de sorte que nous voulions le soulager rapidement ». Avec succès : après 14 jours, la fonction pulmonaire et la FeNO s’étaient pratiquement normalisées (FVC 97 % au lieu de 54 %, FEV1 96 % au lieu de 58 %, TLC 9,0 l au lieu de 6,4 l, FeNO 18 ppb).
Des arguments en faveur d’une mycose broncho-pulmonaire allergique
Six des dix critères suivants doivent être remplis pour confirmer le diagnostic de suspicion d’aspergillose broncho-pulmonaire allergique :
- asthme bronchique connu ;
- hyperéosinophilie dans le sang périphérique (≥ 500 cellules/µl) ;
- élévation des IgE totales (≥ 417 UI/ml) ;
- IgE spécifiques ou réaction immédiate au test cutané ;
- IgG spécifiques ou précipitines ;
- croissance de champignons dans l’expectoration ou le LBA
- hyphes fongiques dans les bouchons de mucus bronchiques ;
- bronchiectasies centrales ;
- sécrétions dans les bronches centrales ;
- high-attenuation mucus (HAM) dans les bronches
D’après Asano K et al. J Allergy Clin Immunol 2021; 147: 1261-1268.e5
MBPA et mucoviscidose
Bien qu’elle ne figure pas dans les critères de diagnostic, la MBPA peut également survenir chez les patients atteints de mucoviscidose. « On la voit probablement encore plus souvent dans la mucoviscidose que dans l’asthme », a précisé le Dr Stoll. La plupart du temps, les patients ayant une MBPA sont hautement symptomatiques, vont mal et présentent souvent des symptômes B.
Le diagnostic se fonde sur la bronchoscopie et le scanner, mais le high-attenuation mucus n’est pas toujours présent. Il peut cependant être considéré comme très typique de l’ABPA et de la MBPA.
Lungs on Fire – un nouveau format d’événement
Cinq experts sur l’estrade : l’un présente un cas clinique issu de sa pratique, les autres discutent de l’évaluation des résultats et des stratégies à adopter. La particularité réside dans le fait que les participants ne connaissent pas la casuistique à l’avance et que la discussion suit pas à pas le déroulement du cas – un conseil clinique en direct sur scène, erreurs et rebondissements surprenants compris. Désormais, le public peut également voter. Les organisateurs se sont inspirés de ce qui s’est fait au congrès de l’European Respiratory Society.
- 64e Congrès de la Société allemande de pneumologie et de médecine respiratoire