26 nov. 2021Évaluation de la fonction cardiaque

Le strain myocardique gagne du terrain

Sur le rapport de l’échographie de votre patient figure le paramètre « strain ». Il ne vous est peut-être pas des plus familiers. Pourtant, vous devrez vous faire à ce concept. Si on en croit la Société européenne de cardiologie, ce paramètre de déformation devrait de plus en plus être appelé à remplacer la fraction d’éjection ventriculaire gauche dans l’évaluation de la fonction ventriculaire.

Bild des Herzens während des Ultraschalls.
iStock/faustasyan

Le strain peut être mesuré par échocardiographie. Il mesure l’importance du raccourcissement, resp. de l’épaississement, du muscle cardiaque.

Il y a trois ans, l’Association européenne pour l’insuffisance cardiaque de la Société européenne de cardiologie (European Society of Cardiology, ESC) a annoncé son changement de paradigme dans une prise de position. Elle ne portait pas sur le potentiel de nouveaux médicaments contre l’insuffisance cardiaque, mais d’une évolution dans l’imagerie cardiaque. Un paramètre qui va encore gagner en importance est le strain myocardique défini comme l’importance du raccourcissement, resp. de l’élargissement, d’un segment myocardique par rapport à son état initial, mesuré entre la fin de la diastole et la fin de la systole. « En effet, la valeur de la fraction d’éjection demeure stablerelativement longtemps au cours de la progression de la dysfonction ventriculaire gauche, alors qu’il y a déjà des altérations précoces qu’il est possible de quantifier », a expliqué le Pr Sebastian Kelle, Centre allemand de cardiologie, Berlin, lors de la 87eAssemblée (virtuelle) de la Société allemande de cardiologie (DGK). Il s’agit notamment de la déformation longitudinale, les autres axes étant radial et circonférentiel.

De nombreuses études ont démontré la pertinence pronostique de l’analyse du strain. La mesure de ce paramètre– p.ex. chez des insuffisants cardiaques à fraction d’éjection préservée(HFpEF)– en plus de la clinique et de l’imagerie classique permet de mieux identifier ceux à risque accru de mortalité. Il fait aussi la différence dans le contexte des myocardites, après transplantation cardiaque et en cardio-oncologie, p.ex. en cas d’effets secondaires cardiotoxiques de la chimiothérapie. La mesure du strain permet aussi d’identifier une insuffisance cardiaque à un stade précoce encore asymptomatique. La technique permet en outre d’ouvrir une fenêtre diagnostique et thérapeutique supplémentaire, en particulier chez les personnes ayant des facteurs de risque tels que le diabète ou l’hypertension.

Les inconvénients de la FE

En 2021, la mesure de la fraction d’éjection est encore largement utilisée comme paramètre d’évaluation standard du risque, a déclaré le Pr Schuster. L’évolution des patients après un infarctus du myocarde illustre toutefois les faiblesses de ce marqueur. Une étude chez 1235 participants a d’abord confirmé qu’un GLS pathologique est associé à un risque accru d’événement cardiovasculaire sévère. La plupart sont survenus chez des patients ayant une FE réduite (≤ 35 %) et un strain défavorable. Ils étaient suivis en deuxième position par ceux ayant une FE > 35 % avec un strain anormal. Les patients ayant une bonne FE et un strain normal venaient en troisième position. L’expérience montre que les patients du deuxième groupe ayant fait un infarctus aigu sont majoritaires, a rappelé le spécialiste. Des outils sont par conséquent nécessaires pour identifier les patients à risque qui, malgré une FE préservée, pourraient tirer bénéfice d’un dispositif implantable ou d’un traitement intensif de l’insuffisance cardiaque.

Le paramètre le plus pertinent de mesure de la fonction ventriculaire gauche est à l’heure actuelle le strain longitudinal global (GLS). La déformation circonférentielle et radiale ne doit toutefois pas être négligée pour autant, a rappelé le Pr Andreas Hagendorf, Hôpitaux universitaires de Leipzig. Le strain ventriculaire gauche a son pendant droit, qui permet p.ex. d’identifier un infarctus droit. De son côté, le strain atrial contribue à distinguer la cardiomyopathie hypertrophique de l’amyloïdose. Une réduction de la valeur de ce paramètre en cas d’infarctus a aussi valeur de facteur prédictif indépendant d’évolution défavorable.

L’importance clinique du strain ne fait aucun doute pour le PrHagendorff. « Ce paramètre est désormais considéré comme une valeur de référence dans les centres d’échographie modernes. » L’échographie impressionne par son excellente résolution temporelle, particulièrement importante pour l’analyse du strain rate, qui est la dérivée du strain en fonction du temps, c’est-à-dire la variation de la déformation au cours du temps. Cette vitesse de la déformation musculaire est p.ex. utilisé pour identifier une fibrose. La présence de l’image typique en œil de bœuf (bull’s eye) (cf. photo) permet p.ex. déjà de suspecter la forme du trouble cinétique de la pathologie. On observe parfois des présentations (pattern) diagnostiques typiques telles que l’épargne apicale de l’amyloïdose.

Le CT n’appartient pas à la routine

L’IRM et le CT-scan permettent également de mesurer le strain. L’imagerie par résonance nucléaire permet de contourner le problème des mauvaises conditions de l’échographie. En outre, la cartographieT1 et T2 peut p.ex. livrer des informations supplémentaires. Les premières données sur l’analyse du strain par CT-scan chez des patients atteints de coronaropathie datent de 2010. Toutefois, le rôle de l’examen est anecdotique en pratique quotidienne. Le Dr Mohamed Marwan, PD, Hôpitaux universitaires, Erlangen, a souligné que le CT-scan n’a pas pour but primaire d’évaluer la fonction ventriculaire. La résolution temporelle et la nécessité de la reconstruction de l’image pour générer des ensembles de données fonctionnelles en limitent l’utilisation.

Harmonisation les techniques d’examen, une nécessité

Néanmoins, le CT-scan gagne en importance en cardiologie. Il s’est entre autres établi dans la planification de l’implantation valvulaire aortique par cathéter(TAVI). L’analyse du strain est utile pour deux raisons:d’une part, des ensembles de données fonctionnelles issues des examens diagnostiques préopératoires existent déjà chez les patientsTAVI, et d’autre part l’acquisition d’images par échographe est délicate dans cette population depatients.

Ces différentes conditions rendent problématique l’utilisation clinique à grande échelle du strain myocardique :les résultats sont certes bien reproductibles mais seulement si on s’en tient à une seule procédure et à un seul logiciel. «C’est un des points faibles», a ajouté le Pr Kelle. Pour preuve, rien que les valeurs normales du GLS ventriculaire gauche à l’IRM et à l’échographie varient d’environ –12 % à –22 %, raison pour laquelle il faut toujours utiliser le même appareil pour le suivi.

Le Pr Andreas Schuster, Centre de cardiologie, Göttingen, considère par conséquent l’harmonisation des techniques d’examens comme l’une des étapes majeures des prochaines années, afin que l’échographie et l’IRM puissent permettre d’aboutir à des résultats équivalents. En outre, il ne faudra à l’avenir pas seulement utiliser le strain pour caractériser et quantifier le risque, mais aussi pour en dériver les traitements nécessaires. Il sera ainsi possible de déterminer s’il y a une amélioration durable du pronostic à long terme.

Dr Sascha Bock