1 avr. 2024Entretien avec les Prs Ludwig Kappos et Cristina Granziera, Bâle

Du nouveau dans la SEP : traitement, gestion du risque et de la fatigue

Lors du congrès de la Société suisse de la sclérose en plaques de cette année, nous nous sommes entretenus avec le Professeur Ludwig Kappos, directeur du Research Center of Clinical Neuroimmunology and Neuroscience, Bâle (RC2NB), et la Professeure Cristina Granziera, codirectrice du Research Center of Clinical Neuroimmunology and Neuroscience et également coprésidente du Conseil médico-scientifique de la Société SEP. Ils se sont exprimés sur les points forts du symposium, à savoir l’état actuel des connaissances sur la SEP (MS-State of the Art Symposium).

La Professeure Cristina Granziera
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La Professeure Cristina Granziera

Codirectrice du Research Center of Clinical Neuroimmunology and Neuroscience, Bâle

Le Professeur Ludwig Kappos
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Le Professeur Ludwig Kappos

Directeur du Research Center of Clinical Neuroimmunology and Neuroscience, Bâle

Le Pr Fredrik Piehl, Stockholm, s’est exprimé sur la question délicate de l’optimisation du rapport bénéfice-risque dans le traitement de la SEP. Quelles conclusions pour la pratique en avez-vous tirées ?
Pr Kappos : Depuis des années, voire des décennies, nous avons la chance de disposer de traitements de plus en plus efficaces, du moins pour les formes récurrentes-rémittentes de la SEP (SEP-RR). Les progrès sont moins évidents en ce qui concerne la progression de la SEP. La tendance est d’opter pour l’option thérapeutique la plus efficace le plus rapidement possible après le diagnostic. En effet, nombre de traitements très efficaces de la SEP ne provoquent heureusement que peu d’effets secondaires. Il y a néanmoins toujours un risque car le traitement ne cible pas seulement la dysrégulation immunitaire liée à la SEP, mais a le potentiel d’altérer également d’autres structures et fonctions du système immunitaire.

Lors des premiers essais cliniques avec des médicaments hautement efficaces, la question s’est posée d’un effet trop global avec d’éventuelles atteintes pouvant remettre en question les bénéfices. Cela concernait notamment une atteinte du système immunitaire avec une augmentation des infections ainsi que des tumeurs. Avec une durée de traitement croissante, une partie non négligeable du système immunitaire est désactivée et il reste à déterminer quelles seront les répercussions sur l’organisme à long terme. Une durée d’observation de plus de dix ans a confirmé une légère augmentation du taux d’infections avec les thérapies de déplétion des cellules B telles que l’ocrélizumab ou l’ofatumumab. En ce qui concerne la Covid-19, certains indices suggèrent une légère augmentation de la susceptibilité et une infection plus sévère, mais sans gravité.

Maintenant que nous sommes apparemment en mesure de maîtriser plutôt bien la SEP, la question de la désescalade se pose. Le Pr Piehl a été appelé à débattre de ces questions, les thérapies de déplétion des cellules B étant utilisées depuis de nombreuses années à grande échelle en Suède – plus que dans d’autres pays – et sont bien documentées par des études de cohortes et de registres sur la SEP. Le Pr Piehl en conclut que certaines données suggèrent la possibilité d’une désescalade, mais qu’il reste à déterminer quels patients y sont éligibles, des études cliniques prospectives étant nécessaires.

Une nouvelle étude, MultiSCRIPT, fondée sur l’étude de cohorte suisse sur la SEP, sera consacrée à cette question. Elle devra montrer si le dosage des neurofilaments à chaîne légère (NfL), en plus de l’IRM et des marqueurs cliniques, permet d’améliorer la qualité décisionnelle. Elle a pour objet de comparer de manière randomisée la moitié des participants pour lesquels on dispose d’un statut NfL à l’autre moitié sans statut NfL. Dans le cadre d’un processus DELPHI, les centres participants ont défini, avec la participation d’experts internationaux et de représentants de patients, un consensus sur la manière de conseiller les patients de manière ciblée sur l’escalade ou la désescalade du traitement de la SEP.

En Suède, les thérapies de déplétion lymphocytaires B ont une place très importante en tant que traitement de première ligne. Qu’en est-il en Suisse ?
Pr Kappos : La place de ces traitements augmente également en Suisse. Selon les dernières statistiques de marché, ils font désormais partie des thérapies les plus prescrites. En outre, il est manifeste que les thérapies modulatrices de la maladie sont utilisées de plus en plus tôt dans l’évolution de la SEP. Une étude sur une utilisation très précoce, dès le stade du syndrome clinique isolé (CIS), est en cours.

Quels sont les principaux risques liés au traitement par déplétion lymphocytaire B et comment peut-on les gérer ?
Pr Kappos : Pour minimiser les risques évoqués précédemment, les vaccins ont une place très importante dans le cadre de la gestion de la SEP, tout comme le suivi systématique des patients.

Que pensez-vous de la recommandation suédoise d’allonger les intervalles entre les perfusions à 24 mois chez les patients stables sous traitement anti-CD-20 par ocrélizumab ou ofatumumab ?
Pre Granziera : Il serait bien entendu souhaitable de pouvoir prendre de telles décisions sur la base des données de grands essais contrôlés randomisés. Pour l’instant, nous ne disposons pas encore des données nécessaires pour justifier un tel allongement des intervalles entre les perfusions. Pour nous assurer de la pérennité des effets du traitement, nous effectuons à ce jour des examens cliniques et radiologiques tous les six à douze mois.

Je distingue deux aspects fondamentaux. Premièrement, une désescalade est-elle envisageable chez les patients sans poussées ni activité à l’IRM, ou faut-il des outils plus précis pour prendre une telle décision ? Et, deuxièmement , se pourrait-il qu’il y ait une progression que ne permet pas de détecter notre seuil de détection actuel, p. ex. en termes de déficits cognitifs ? Une nouvelle étude évalue si une augmentation de la dose du traitement anti-CD20 permet un bénéfice plus important en termes de délai supplémentaire pour la progression ou s’il y a survenue d’effets indésirables.

La prise en charge des personnes ayant un syndrome radiologique isolé (SRI) est un sujet de controverse depuis des années. À l’IRM, elles présentent des indices d’une SEP potentiellement débutante, sans symptômes neurologiques correspondants. Quels nouveaux enseignements ont apporté les études ARISE et TERIS ?
Pre Granziera : Il est certain que le risque de développer une SEP est plus élevé en cas de SRI. Les deux études, ARISE avec le fumarate de diméthyle et TERIS avec le tériflunomide, ont montré que ces médicaments sont efficaces dans le SRI. On envisage actuellement une modification des recommandations thérapeutiques fondée sur de nouveaux biomarqueurs. Mais tout cela est encore en cours.

Pr Kappos : À l’heure actuelle, le traitement préventif du SRI ne se fait qu’hors indication, ces deux préparations admises dans la SEP n’ayant pas d’autorisation de mise sur le marché pour le SRI. Les décisions correspondantes de Swissmedic et de l’OFSP, condition préalable à un remboursement, sont en attente.

Le Pr Andrew Chan a présenté le « MS Treatment Update ». De votre point de vue, quelles en sont les enseignements pertinents en pratique quotidienne pour les consultations de la SEP ?
Pr Kappos : Son aperçu complet avait pour objectif de nous faire choisir les médicaments contre la SEP de manière à retarder encore la progression lente. Il y a toujours un besoin d’amélioration dans ce domaine, aussi bien en ce qui concerne le développement de nouveaux médicaments que de l’escalade, resp. la désescalade adaptée à chaque cas. Pour les neurologues praticiens, il me semble important que nous activions à nouveau davantage nos véritables compétences, que nous observions très attentivement et que nous analysions de manière différenciée. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons développer le concept thérapeutique optimal pour chaque patient à partir du vaste éventail existant. Outre les médicaments contre la SEP, les dispositifs numériques tels que les SmartWatch (montres connectées/intelligentes) et les SmartPhones (téléphones intelligents) gagnent en importance, non seulement pour une observation plus précise et complète de l’évolution, mais aussi en tant qu’outils thérapeutiques, p. ex. pour l’entraînement cognitif.

De quelles particularités faut-il tenir compte pour les vaccinations chez ces patients ?
Pr Kappos : Globalement, les vaccinations standard recommandées pour les adultes ont également leur place en cas de SEP. Seuls les vaccins vivants, p. ex. avant un voyage sous les tropiques, sont soumis à des dispositions particulières. Avant d’initier un traitement hautement efficace contre la SEP, le statut vaccinal devra être contrôlé et, le cas échéant, mis à jour. En cas de SEP très active, cela peut être « une course contre la montre ».

Avec l’évolution de la SEP, il faut s’attendre à une baisse des capacités cognitives. Est-il possible de contrecarrer cette évolution ?
Pr Kappos : Le véritable problème réside dans la lenteur de la progression. La cognition se dégrade de facto chez une grande partie de ces personnes, et peut être partiellement compensée pendant une durée variable. Il y a d’une part la SEP qui altère les fonctions, et d’autre part des processus régénératifs qui permettent d’atténuer les déficits. Le traitement de la SEP a probablement aussi des effets favorables dans ce domaine, dans le sens d’un ralentissement de la progression. Les examens neuropsychologiques peuvent être utiles, mais l’acceptation fait souvent défaut. Les dispositifs numériques pourraient permettre une amélioration, tant au niveau de la détection que de l’entraînement.

Au moins 75 % des patients souffrent de fatigue. Comment peut-on la mesurer et que peut-on proposer ?
Pre Granziera : Par fatigue dans la SEP, on entend un état caractérisé non seulement par une fatigue motrice, avec un ralentissement de l’activité motrice et une fatigabilité accrue, mais également une fatigue cognitive avec des difficultés croissantes dans les activités cognitives, une fatigue mentale rapide et des troubles de la concentration. Nous les interprétons comme la conséquence d’une activité inflammatoire dans le cadre de la SEP. La fatigue peut être mesurée à l’aide d’échelles de fatigue motrice et cognitive. Mais ce qui est décisif est la manière dont les patients perçoivent leur fatigue et dans quelle mesure elle les limite.

Pr Kappos : Des médicaments tels que la 4-aminopyridine, qui peuvent avoir un effet symptomatique sur la fatigue motrice, agissent en facilitant la transmission de l’excitation. Cependant, aucun médicament n’est autorisé dans cette indication. En cas de souffrance correspondante, une thérapie probatoire peut être instaurée. Des mesures générales telles qu’apprendre à économiser ses forces, une organisation bien pensée de la journée, avec le respect des temps de repos, ont en tout cas fait leurs preuves.

Merci pour cet entretien !