20 mai 2024Des phénotypes défavorables

Nouvelles données pronostiques de l’arthrite précoce

Il est difficile d’évaluer l’évolution d’une polyarthrite rhumatoïde (arthrite précoce, AP). On sait certes que des taux élevés d’inflammation et d’auto-anticorps sont associés à une progression radiographique mais ces données ne suffisent pas pour déterminer le pronostic.

Image radiologique typique d’une polyarthrite rhumatoïde
wikimedia/Jojo
Image radiologique typique d’une polyarthrite rhumatoïde qui touche entre 0,5 à 1 % de la population adulte dans le monde.

La meilleure compréhension des mécanismes pathologiques de la polyarthrite rhumatoïde (PR) a permis de multiplier les options thérapeutiques ces dernières années.

Les nouveaux médicaments sont évalués non seulement chez les patients ayant une maladie avancée mais aussi à des stades précoces. En effet, plus le traitement par DMARD est précoce, plus il est possible de prévenir les atteintes structurelles.

Évolution imprévisible

Il est toutefois difficile de reconnaître une arthrite précoce et de la gérer. En effet, la maladie ne varie pas seulement dans ses manifestations, l’évolution de l’arthrite indifférenciée précoce étant également imprévisible.

Tout est envisageable, de la rémission spontanée au développement d’une ostéoarthrite inflammatoire en passant par le passage à la polyarthrite rhumatoïde ou à une autre maladie rhumatismale, écrivent le Dr Alexander Sepriano, Nova Medical School, Faculté des sciences médicales, Lisbonne, et ses collègues (1).

Des marqueurs pronostiques pourraient aider à la prise en charge des variantes précoces de la maladie. Les indicateurs individuels des variantes érosives et progressives sont notamment

  • un nombre élevé d’articulations tuméfiées,
  • la positivité pour le facteur rhumatoïde et
  • la présence d’anticorps antiprotéines citrullinées (ACPA).

Il reste toutefois à déterminer clairement la pertinence de la combinaison de ces paramètres.

Cinq phénotypes d’arthrite précoce identifiés

Le Dr Sepriano et son équipe ont déterminé si l’arthrite précoce pouvait être objectivement répartie en phénotypes et si ceux-ci se distinguaient par leur pronostic à long terme. Pour ce faire, ils ont analysé les données cliniques de patients issus d’une cohorte britannique (Early Arthritis Cohort in Reade), d’une cohorte française (Étude et Suivi des Polyarthritides Indifférenciées Récentes, ESPOIR) et d’une cohorte de la Leiden Early Arthritis Clinic (EAC) néerlandaise.

Sur la base du nombre et de la localisation des articulations touchées, des paramètres inflammatoires et du statut des anticorps, cinq phénotypes se sont dégagés chez les 5 000 patients.

Les deux premiers étaient caractérisés par une polyarthrite symétrique, les trois autres par une oligoarthrite :

  • polyarthrite inflammatoire auto-immune (AIPA, autoimmune inflammatory polyarthritis) avec réaction de phase aiguë marquée (RPA, définie par la VS et des valeurs élevées de CRP) et anticorps (AC) positifs ;
  • polyarthrite inflammatoire légère (MIPA, mild-inflammatory polyarthritis) avec RPA et AC négatifs ;
  • oligoarthrite auto-immune des membres supérieurs (AIOAUL, autoimmune oligoarthritis of the upper limbs) avec RPA élevés et AC positifs ;
  • OAUL inflammatoire légère (MIOAUL, oligoarthritis of upper limbs) avec RPA et AC négatifs ;
  • oligoarthrite des membres inférieurs (OALL, oligoarthritis of the lower limbs).

À l’examen de base, dans les trois cohortes, les patients présentant un phénotype AIPA répondaient plus souvent aux critères de classification de la PR de 2010 que ceux ayant un phénotype MIOAUL. Certaines oligoarthrites des membres supérieurs pouvaient également être définies comme des PR selon ces critères. Cette probabilité était plus élevée pour l’AIOAUL auto-immune que pour la MIOAUL (66 % vs 17 %). En revanche, les critères de classification de la PR n’étaient pas remplis par la grande majorité des patients ayant une oligoarthrite des membres inférieurs.

Peu de changements du phénotype

Les chercheurs se sont demandé si le phénotype des patients ayant une arthrite précoce changeait au cours de leur vie. L’analyse des données à long terme n’était toutefois possible que dans la cohorte française. Près d’un tiers des patients ESPOIR atteints d’oligoarthrite des membres supérieurs ont développé une polyarthrite, 21 % une AIPA, 10 % une MIPA.

Les données de la cohorte EAC néerlandaise n’ont permis qu’une analyse à un an. Dans cette cohorte, l’oligoarthrite avait progressé vers la polyarthrite chez 14 % des patients du groupe auto-immun (AIOAUL) et chez 3 % des patients du groupe à inflammation légère (MIOAUL). Dans les deux cohortes, aucun patient n’a vu sa polyarthrite évoluer vers un autre phénotype.

Il n'y a pas eu non plus de progression de l'oligoarthrite des membres inférieurs (OALL) dans les cohortes britannique et néerlandaise. Dans l’étude ESPOIR, ce phénotype n’a plus été mis en évidence après l’âge de dix ans, ce qui explique l’absence de données. Dans la cohorte EAC, il n’y a pas eu de changement de phénotype pour 92 % des patients ayant une AP.

Score radiologique plus bas en cas d’inflammation légère

Dans l’étude actuelle, les atteintes articulaires radiologiques ont été évaluées à l’aide du score de Sharp Van der Heijde (SVdH). Sur l’ensemble des cohortes, ce score est resté plus bas sur toute la durée du suivi dans les groupes à inflammation légère par rapport aux groupes à inflammation auto-immune. En d’autres termes, les patients ayant une AP présentant une RPA élevée et des taux d’auto-anticorps élevés développent plus souvent des lésions radiologiquement objectivables que les patients chez lesquels ces marqueurs sont négatifs.

Malgré la différence significative en termes de pronostic structurel, le niveau de handicap et la baisse de la qualité de vie étaient comparables chez les patients AIPA et MIPA à la fin du suivi (mesurés par le HAQ et le SF36). Les chercheurs en concluent que les patients atteints d’arthrite précoce ayant des auto-anticorps négatifs et un taux d’inflammation non augmenté n’ont pas nécessairement un meilleur pronostic que ceux qui présentant ces marqueurs, soulignent les auteurs. Afin d’améliorer la qualité de vie de tous les patients atteints d’arthrite, ils appellent à développer des stratégies thérapeutiques allant au-delà de la prévention de la destruction articulaire.