27 mars 2024Antibiothérapie

Privilégier une prise de décision rationnelle

Les idées reçues sur l’antibiothérapie sont nombreuses. Beaucoup pensent ainsi que les antibiotiques contribuent à prévenir les complications et qu’une administration orale est plus anodine qu’une administration parentérale en termes de résistance. Lors d’une manifestation de formation continue de mise à jour des connaissances en pédiatrie du Forum pour la formation médicale (FomF), le Dr Julia Bielicki, médecin-chef, service de pédiatrie et d’infectiologie, Hôpital universitaire de pédiatrie des deux-Bâle, a fait le point sur la situation.

Les idées reçues sur l’antibiothérapie sont nombreuses.
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Certaines données d’observation remettent en question la capacité de l’antibiothérapie précoce à prévenir les complications telles qu’une mastoïdite en cas d’otite moyenne.

Ne pas traiter systématiquement l'otite moyenne par des antibiotiques

« Avec 4831, le nombre de sujets à traiter (NST, number needed to treat, NNT) est très élevé », a expliqué le Dr Bielicki, en se référant à une étude de cohorte en soins primaires anglaise sur les données de 2,6 millions d’enfants. L’analyse a également montré qu’en l’absence de traitement, il y aurait un surnombre de 255 cas de mastoïdite par an et à espérer une économie potentielle de 738 800 prescriptions d’antibiotiques (1).

« Au niveau de la population, l’exposition serait par conséquent significativement plus faible », a d’abord souligné l’intervenante, avant d’enchaîner sur le fait qu’au niveau individuel, le bénéfice pour l’enfant serait toutefois très faible. Sur la base de ces données, elle choisit de ne pas mettre systématiquement sous antibiotiques les enfants ayant une otite moyenne ou une sinusite aiguë en espérant prévenir une complication.

En cas d’infection à streptocoques A, les directives suisses actuelles recommandent d’attendre et d’observer dans un premier temps et, le cas échéant, de ne prescrire une antibiothérapie qu’une fois le diagnostic posé avec certitude.

Des données déjà anciennes montrent que l’antibiothérapie permet tout au plus de raccourcir légèrement la durée des symptômes (2). « La pertinence de ce raccourcissement, souvent inférieur à un jour, est discutable », a déclaré le Dr Bielicki. En Suisse, pour la plupart des infections soignées en pratique privée ou dans les services d’urgence, le bénéfice d’une antibiothérapie est très faible – tant en termes de prévention des complications que de guérison au niveau individuel – a-t-elle conclu.

Des défis pour les familles

Une autre idée reçue est que « plus il y en a mieux c’est ». De rares données montrent un léger bénéfice en termes de microbiologie sous des doses plus élevées, mais elles n’en montrent pas la pertinence clinique. Dans une étude randomisée avec contrôle placebo chez 814 enfants ayant une pneumonie communautaire, le Dr Bielicki et ses collègues ont ainsi comparé entre autres l’efficacité d’un traitement par amoxicilline à faible dose à des doses plus fortes (3).

Le traitement à la dose la plus faible ne s’est pas montré inférieur. « Dans une région où le taux de résistance des pneumocoques est faible, comme en Suisse, on peut traiter par amoxicilline à plus faible dose en deux prises en toute bonne conscience et sans devoir craindre de conséquences pour le patient », a conclu le Dr Bielicki. Sur la base d’études, l’OMS recommande également de traiter la pneumonie ainsi que d’autres infections des voies respiratoires par de l’amoxicilline à raison de deux fois par jour au lieu des trois fois habituelles.

« Et avec les suspensions buvable, l’avantage des doses plus faibles signifie également un volume manifestement plus faible à boire », a déclaré l’intervenante. Selon elle, cela permet aux parents d’administrer plus facilement des antibiotiques au goût souvent déplaisant pour l’enfant en respectant la posologie prescrite.

Voie orale ou parentérale ?

Les antibiotiques sont globalement connus pour perturber le microbiome intestinal et exposer au risque d’effets indésirables tels qu’éruptions cutanées et troubles gastro-intestinaux. Le profil des effets indésirables diffère toutefois d’un antibiotique à l’autre. Ainsi, les vomissements et les diarrhées sont beaucoup plus fréquents avec la combinaison amoxicilline/acide clavulanique qu’avec l’amoxicilline (19,1 % vs 8,1 %) (4). Selon le Dr Bielicki, que les antibiotiques soient administrés par voie orale ou parentérale ne joue qu’un rôle secondaire.

Le mode d’administration a toutefois un effet sur le développement des résistances. Des études chez la souris ont montré que l’administration orale d’antibiotiques à forte dose se traduit par une plus grande pression de sélection en termes de résistances que l’administration parentérale à la même dose (5). Des études chez le porc ont montré que contrairement à l’administration parentérale l’administration orale peut entraîner des résistances croisées (6).

Bien entendu, l’administration parentérale n’est que rarement envisageable et indiquée dans le cadre d’un traitement ambulatoire. La prescription généreuse d’antibiotiques oraux pour traiter des infections plutôt bénignes et courantes en pratique pourrait toutefois favoriser davantage le développement de résistances que l’administration parentérale d’antibiotiques à large spectre en milieu hospitalier.

L’exposition et la durée favorisent les résistances

Il y a une relation manifeste entre l’exposition et le développement de résistances. « Tout traitement antibiotique augmentera le risque de résistance aux traitements antibiotiques ultérieurs de futures infections », a souligné la spécialiste. Un enfant récemment traité par antibiothérapie est donc à un risque accru de non-réponse au traitement d’une autre infection.

De même, chaque jour d’exposition supplémentaire à un antibiotique augmente d’environ 4 % le risque d’émergence de germes résistants après cet événement. « Cela signifie que la durée de l’antibiothérapie joue également un rôle dans le développement de la résistance », a conclu le Dr Bielicki.