« Time is brain » vaut aussi dans l’épilepsie
Il n’y a à ce jour pas protocole de prise en charge standardisé pour une crise d’épilepsie inaugurale. Le diagnostic et le traitement sont donc souvent retardés. Lors du congrès de l’European Academy of Neurology (EAN), des experts se sont exprimés sur la question de savoir si un protocole « First Seizure Track » pouvait améliorer la prise en charge.

Avec les accidents vasculaires cérébraux et les événements cardiaques, les crises d’épilepsie ou les événements de type crise comptent parmi les urgences les plus fréquentes dans le monde. « Pourtant, la prise en charge d’une crise d’épilepsie inaugurale présumée n’est toujours pas standardisée », a souligné le Pr Stephan Rüegg, directeur de l’unité Épilepsie et sommeil, hôpital universitaire de Bâle.
Deux écoles de pensée pour un diagnostic
Le diagnostic se fonde essentiellement sur deux approches :
- Différée : pose du diagnostic uniquement après la deuxième crise. Les arguments avancés sont les économies supposées et la prévention des effets secondaires d’un traitement trop précoce.
- Rapide : diagnostic dans les heures ou les jours qui suivent pour améliorer la sécurité du patient.
Les directives actuelles laissent également une grande marge de manœuvre. Ainsi, les directives américaines recommandent bien une anamnèse, un examen clinique, des analyses de laboratoire et un EEG après la première crise, mais font l’impasse sur les délais. Les recommandations DACH de 2024 conseillent un EEG « dès que possible » et une imagerie « dans les jours qui suivent ». Mais là encore, des directives claires font défaut.
Dans la pratique, les soins après la première crise dépendent fortement du système de santé et des pratiques de l’hôpital concerné, selon le spécialiste. Dans certaines régions et certains centres, un EEG ou une IRM peuvent être faits dans les 24 heures, tandis que dans d’autres les patients doivent attendre des semaines. Des facteurs tels que les services de nuit et le week-end ont également leur importance.
Or, une deuxième crise est à haut risque. Parmi ces risques, on citera :
- la stigmatisation ;
- une restriction de l’aptitude à conduire ;
- les accidents mettant en danger le patient lui-même et autrui, par exemple accidents de la route ;
- l’aggravation de comorbidités telles que troubles anxieux ou états dépressifs ;
- plus rarement, état de mal épileptique ou mort soudaine inattendue en épilepsie (SUDEP, Sudden Unexpected Death in Epilepsy)
À cela s’ajoutent des coûts directs et indirects considérables, liés par exemple aux traitements d’urgence, aux diagnostics redondants et aux traitements inappropriés, ainsi qu’aux pertes de productivité, au stress pour les proches ainsi qu’aux restrictions psychosociales.
Là aussi « Le temps, c’est du cerveau »
« La vulnérabilité du cerveau fait que les lésions sont souvent irréversibles. C’est la raison pour laquelle, comme pour les accidents vasculaires cérébraux, le principe Time is brain vaut également pour l’épilepsie », a expliqué le Pr Rüegg. En effet, les crises peuvent potentiellement augmenter la tendance aux crises (selon la théorie seizures beget seizures). Il a par exemple été démontré que l’activité ictale altère les propriétés moléculaires, structurelles et fonctionnelles des réseaux neuronaux et favorise la neuro-inflammation, autant d’éléments qui pourraient abaisser le seuil de nouvelles crises.
Le Pr Rüegg a par conséquent plaidé pour l’instauration de cliniques spécialisées dans les premières crises (First Seizure Clinics) se conformant à des procédures claires impliquant les services d’urgence et les cliniques neurologiques, dans lesquelles les patients sont pris en charge rapidement, de manière structurée et interdisciplinaire dès leur première crise. Un groupe de travail (TFFSC) travaille actuellement à l’élaboration d’un plan d’action européen.
Moins d’erreurs de diagnostic avec un diagnostic rapide
Un diagnostic adéquat et rapide dès la première crise permet également d’éviter des erreurs diagnostiques, a expliqué le Dr Ronan N. McGinty, neurologue, Walton Centre, Liverpool. Cela inclut d’une part le surdiagnostic : « Entre 20 et 30 % des patients diagnostiqués comme épileptiques ne le sont probablement pas », a expliqué le spécialiste. Cela conduit non seulement à des traitements inutiles avec des effets indésirables et des restrictions importantes dans la vie quotidienne, mais aussi à ce que la maladie réelle reste non traitée.
Différencier l’épilepsie des diagnostics imitants
Selon le Dr McGinty, il est parfois difficile, même pour les experts, de distinguer les crises d’épilepsie d’autres événements. « Les pseudo-AVC sont souvent interprétés à tort comme de l’épilepsie, alors qu’ils comportent leurs propres risques nécessitant un diagnostic et un traitement rapides. »
Les diagnostics différentiels typiques sont les suivants :
- crises psychogènes non
- épileptiques (CPNE) ;
- syncopes (vasovagales, orthostatiques ou cardiogéniques) ;
- migraine avec aura ;
- accidents ischémiques transitoires (AIT) ;
- narcolepsie ;
- causes métaboliques (p. ex. hyponatrémie, hypoglycémie) ;
- parasomnies (p. ex. stéréotypie).
Fréquentes, les crises psychogènes non épileptiques (PNEA) sont souvent prises à tort pour des crises d’épilepsie. Les événements prolongés et fluctuants avec maintien de la conscience sont particulièrement suspects. À l’inverse, une véritable épilepsie est souvent négligée dans un premier temps. Dans une étude australienne, 42 % des personnes concernées en First Seizure Clinic avaient déjà des antécédents de crise.
Le diagnostic de l’épilepsie est également délicat dans la mesure où les tests diagnostiques ne sont pas toujours concluants. Ainsi, environ 20 % des personnes en bonne santé présentent des anomalies EEG non spécifiques et environ 10 % des schémas épileptiformes. À l’inverse, 75 % des personnes chez lesquelles une épilepsie est diagnostiquée par la suite ne présentent initialement pas de schéma typique correspondant à l’EEG.
Une place pour l’intelligence artificielle
En revanche, les EEG à long terme (18 à 23 heures, avec sommeil) et un EEG de routine dans les 48 heures suivant la première crise sont utiles, a expliqué le Pr Margitta Seeck, responsable de l’Unité d’exploration d’épilepsie et EEG, Hôpitaux universitaire de Genève. Ceux-ci se caractérisent par une sensibilité et une spécificité élevées. En revanche, les EEG sous privation de sommeil n’ont pas fait leurs preuves, n’étant pas supérieurs aux EEG de routine dans les études, mais comportant des risques et des inconvénients pour les patients.
L’intelligence artificielle devrait également bientôt aider les épileptologues dans leur diagnostic, selon la spécialiste. L’évaluation automatisée des EEG fondée sur l’IA a déjà donné des résultats prometteurs dans les premières études sur le sujet. Des protocoles IRM étendus avec une morphométrie supplémentaire fondée sur l’IA (par exemple, Harmonized Neuroimaging of Epilepsy Structural Sequences [HARNESS]) promettent également des améliorations.
Un diagnostic rapide améliore l’observance
À Genève, une équipe de chercheurs a évalué, en collaboration avec le Pr Seeck, un programme de suivi des premières crises (First Seizure Track) débutant aux urgences. Entre 2021 et 2024, les scientifiques ont inclus 84 personnes ayant eu un diagnostic immédiat (EEG, IRM, anamnèse, évaluation interdisciplinaire) et 206 personnes ayant eu une évaluation différée (> 30 jours).
Une proportion plus élevée de crises de type épileptiques à l’examen (p = 0,0004) a été constatée parmi les personnes diagnostiquées précocement, souvent à l’aide d’un EEG à long terme. De plus, dans l’étude, un diagnostic précoce a permis d’améliorer l’adhésion thérapeutique. Ainsi, les patients diagnostiqués immédiatement sont revenus après un mois en moyenne contre dix mois pour la première consultation de suivi – et ont manqué beaucoup moins souvent leurs rendez-vous de contrôle.
Trop de patients concernés ne sont pas traités
Force est de reconnaître qu’il subsiste actuellement encore des lacunes considérables non seulement sur le plan diagnostique, mais aussi dans la prise en charge rapide des épileptiques. « Même les personnes dont le diagnostic d’épilepsie est confirmé ne reçoivent pas de traitement pendant une longue période », a regretté le Pr Simona Lattanzi, Università Politecnica delle Marche, Ancône. Dans une étude, 51,4 % des patients n’ont pas reçu de traitement immédiat après le diagnostic, 36,7 % ayant même attendu plus de trois ans. Les personnes du groupe traité tardivement avaient un risque accru de 20 % d’événements médicaux notables, en particulier des brûlures, des accidents, des chutes et des fractures.
Le traitement antiépileptique étant associé à des effets indésirables qu’on ne saurait sous-estimer, la plupart des directives, fondées sur des données d’études déjà anciennes (voir encadré), sont actuellement contre la prescription systématique d’un traitement immédiat après la première crise, sauf si les examens EEG ou IRM montrent qu’une épilepsie sous-jacente est très probable.
Selon le Pr Rüegg, une intervention médicamenteuse rapide est toutefois bénéfique chez certains patients à risque.
Parmi les facteurs pouvant indiquer un risque accru de récidive après la première crise non provoquée, on peut citer :
- des antécédents de lésions cérébrales ;
- des anomalies épileptiques à l’EEG ;
- des lésions épileptogènes à l’IRM ;
- un état de mal épileptique dès le premier épisode ;
- un risque professionnel élevé ;
- la préférence du patient ;
- une première crise pendant le sommeil.
La First Seizure Clinic, qui propose un examen rapide et structuré après la première crise ainsi qu’un traitement rapide, améliore donc le pronostic, réduit les erreurs de diagnostic et augmente la sécurité des patients, selon la conclusion des intervenants.
« First seizure clinics – time matters in epilepsy, too », manifestation organisée dans le cadre du congrès de l’European Academy of Neurology (EAN) 2025