Dépression des personnes âgées
Les dépressions sont les affections psychiques les plus fréquentes chez les personnes âgées. Lors du congrès de printemps 2024 de la SSMIG*, Axel Baumann, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, Coire, a expliqué quels aspects devaient être pris en compte pour la prise en charge de cette population.
Jusqu’à 17 % des personnes âgées souffrent de dépression, ce qui en fait l’affection psychique la plus fréquente dans ce groupe d’âge. « 80 % d’entre elles sont prises en charge par le médecin de famille », a souligné l’expert.
Le problème est que chez un quart de ces patients le bon diagnostic de dépression n’est pas posé et que moins de la moitié reçoivent un traitement adéquat, cela dans un contexte où la dépression est un facteur de risque majeur de suicidalité.
Ce qui conduit à la dépression chez les personnes âgées
Une série de facteurs physiques, socio-économiques et liés au mode de vie favorisent la survenue d’une dépression chez la personne âgée.
En cas de maladie chronique avec une forte charge de morbidité, la dépression peut être interprétée à tort comme une « conséquence compréhensible », ce qui conditionne alors l’absence de diagnostic de la souffrance psychique. C’est la raison pour laquelle l’expert a lancé un appel : « Le plus important est de penser à la dépression ».
La dépression est en effet associée à des comportements qui augmentent encore le risque de maladie chronique. Il est donc recommandé, à titre préventif, d’être attentif à des composantes comme l’obésité, la consommation d’alcool et le tabagisme, à la mauvaise observance thérapeutique, à l’abus de substances et aux troubles du sommeil dans les antécédents médicaux. Selon les directives CANMAT (1), un dépistage régulier est conseillé en cas de diabète, de maladies cardiovasculaires et de troubles neurologiques tels que la démence ou la maladie de Parkinson.
Inversement, la dépression est un facteur de risque pour le diabète de type 2 et la démence et peut apparaître dans ce dernier cas comme symptôme du stade prodromique. Environ 20 à 30 % des patients atteints de démence souffrent de dépression. En outre, les personnes concernées sont davantage exposées au suicide, ce que l’intervenant a justifié comme suit : sous traitement, la motivation peut s’améliorer plus rapidement que l’humeur, ce qui explique la raison pour laquelle les suicides peuvent être plus nombreux dans ce contexte. « C’est donc une période à risque », a souligné l’intervenant. Les antidépresseurs semblent agir contre ce phénomène car leur prise est en corrélation inverse avec le taux de suicide (2).
Importance du choix de l’antidépresseur
Actuellement, l’objectif du traitement d’une dépression est le rétablissement complet de la fonction, dans lequel les patients reviennent à l’état fonctionnel prémorbide. « Les patients doivent pouvoir à nouveau gérer leur quotidien. Ce n’est qu’alors que l’objectif est atteint », a commenté l’expert. Le traitement de la dépression se fonde sur des interventions psychosociales, la psychothérapie, la pharmacothérapie, des traitements combinés et la psychiatrie interventionnelle.
La pharmacothérapie comprend un grand nombre d’antidépresseurs dont le choix sera guidé par les critères d’efficacité, de sécurité, de tolérance et de coût. À cet égard, selon une méta-analyse en réseau (3), la vortioxétine, le bupropion et l’escitalopram donnent des résultats particulièrement avantageux en termes d’efficacité et d’acceptation. « La vortioxétine s’est révélée efficace et bien tolérée chez les patients atteints de dépression et de démence comorbide ou de diabète », a ajouté l’expert.
À ce jour, peu d’études ont analysé l’efficacité d’une pharmacothérapie antidépressive en cas de démence associée. Une revue systématique avec méta-analyse a conclu en 2017 qu’il n’y avait pas de différence significative entre les antidépresseurs et le placebo dans les sept études incluses. Les médicaments étudiés étaient la sertraline, la mirtazapine, l’imipramine, la fluoxétine et la clomipramine (4).
La vortioxétine améliore aussi les symptômes de la démence
L’étude en ouvert de phase IV MEMORY (4) a récemment analysé l’effet de 5 à 20 mg de vortioxétine chez 82 patients atteints de démence âgés de 55 à 85 ans pendant douze semaines. Il s’est avéré que l’antidépresseur réduisait significativement les symptômes de dépression (score MADRAS). L’attention (DSST, Digit Symbol Substitution Test), la mémoire (RAVLT, Rey Auditory Verbal Learning Test) et la fonctionnalité (IADL, Instrumental Activities of Daily Living) ont également montré des améliorations significatives sous traitement. La tolérance de la vortioxétine a été jugée bonne par les auteurs.
Les effets secondaires les plus fréquents étaient les nausées et les douleurs abdominales. L’effet était dose dépendant. À la fin de l’étude, environ la moitié des patients étaient traités par une dose de 20 mg/j.Les patients ayant une dépression et une maladie cardiovasculaire ou un diabète ont également eu une bonne réponse à la vortioxétine (6).
L’utilisation d’antidépresseurs suppose d’être attentif à la sécurité – surdosage et interactions – en particulier chez les patients âgés. Les antidépresseurs peuvent par exemple provoquer des inhibitions enzymatiques dans le système CYP P450 et des allongements de l’intervalle QT et ont des effets anticholinergiques additifs. De plus, ils peuvent interagir avec divers autres médicaments (p. ex. inhibiteurs de la MAO, antihypertenseurs, antiarythmiques). Les paramètres de la fonction hépatique doivent également être évalués avant le début du traitement car le métabolisme de nombreux antidépresseurs a lieu dans le foie.
Les directives CANMAT recommandent en première ligne les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN), les antagonistes α2 (mirtazapine) et la vortioxétine, ainsi que les antidépresseurs tricycliques en deuxième ligne (uniquement avec des restrictions dans d’autres directives).
* Société Suisse de Médecine Interne Générale – Symposium satellite Lundbeck, 29.5.24
- Lam RW et al. Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments (CANMAT) 2016 Clinical Guidelines for the Management of Adults with Major Depressive Disorder: Section 1. Disease Burden and Principles of Care. Can J Psychiatry. 2016 Sep;61(9):510-23. doi: 10.1177/0706743716659416
- Gusmão R et al. Antidepressant Utilization and Suicide in Europe: An Ecological Multi-National Study. PLoS One. 2013 Jun 19;8(6):e66455. doi: 10.1371/journal.pone.0066455
- Cipriani A et al. Comparative efficacy and acceptability of 21 antidepressant drugs for the acute treatment of adults with major depressive disorder: a systematic review and network meta-analysis. Lancet. 2018 Apr 7;391(10128):1357-1366. doi: 10.1016/S0140-6736(17)32802-7
- Orgeta et al. Efficacy of Antidepressants for Depression in Alzheimer's Disease: Systematic Review and Meta-Analysis. J Alzheimers Dis. 2017;58(3):725-733. doi: 10.3233/JAD-161247
- Christensen MC et al. Effectiveness of vortioxetine in patients with major depressive disorder and early-stage dementia: The MEMORY study. J Affect Disord. 2023 Oct 1;338:423-431. doi: 10.1016/j.jad.2023.06.024
- Baldwin DS et al. Efficacy and safety of vortioxetine in treatment of patients with major depressive disorder and common co-morbid physical illness. J Affect Disord. 2022 Aug 15;311:588-594. doi: 10.1016/j.jad.2022.05.098