Maladie de Behçet: pronostic, pathogenèse, manifestations
Tantôt il s’agit d’aphtes récurrents, tantôt une cécité s’installe, la maladie de Behçet présente une large éventail de manifestations. Sa pathogenèse reste méconnue et son pronostic modéré. Une équipe d’experts fait le point sur l’état actuel des connaissances en génétique, les facteurs déclenchants potentiels et le traitement.
La maladie de Behçet est une vascularite systémique qui peut affecter les veines et les artères de tous calibres.
Pathogenèse de la maladie de Behçet
La pathogenèse de la maladie de Behçet n’est pas encore totalement élucidée mais on suppose qu’en présence d’une prédisposition génétique différents déclencheurs externes entraînent des processus spécifiques qui aboutissent finalement à une inflammation et à des lésions cellulaires.
Les micro-organismes et leurs produits métaboliques sont considérés comme des facteurs déclencheurs potentiels, de même que les aliments libérant de l’histamine (p. ex. les agrumes, les noix ou le fromage).
Une mauvaise hygiène buccale et le stress seraient également des facteurs favorisants, écrivent le Dr David Saadoun, département de médecine interne et immunologie clinique, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris, et ses collègues (1). En effet, il semble de plus en plus manifeste que les déséquilibres de la flore intestinale et salivaire jouent un rôle dans le développement de la maladie.
La composante génétique est suspectée depuis longtemps, notamment en raison de l’accumulation familiale dans certaines populations. Cela s’appliquerait en particulier aux patients atteints du syndrome de Behçet à début précoce.
Entre-temps, il y été montré que les porteurs de la variante antigénique HLA-B51 ont une probabilité six fois supérieure de développer la maladie de Behçet. Des études ont montré des interactions entre le HLA-B51 et le gène de contrôle de l’aminopeptidase 1 du réticulum endoplasmique. Cela pourrait entraîner l’activation des cellules tueuses naturelles (NK) et sur l’homéostasie des cellules T. De nombreux autres gènes de régulation des cellules Th-1 et Th-17 et de contrôle de la chimiotaxie cellulaire ont également été associés à la maladie.
Caractéristiques cliniques
Les caractéristiques cliniques de la maladie de Behçet sont aussi variées que les facteurs pathogéniques. Il y a souvent des chevauchements des manifestations, les risques individuels pouvant être plus ou moins élevés selon le groupe ethnique.
Atteintes mucocutanées
Avec une fréquence de 98 %, presque tous les patients atteints de maladie de Behçet développent des aphtes buccaux récidivants.
Il sont souvent difficile à distinguer des aphtes ayant d’autres origines. Jusqu’à deux tiers des patients ont des aphtes, principalement labiaux et scrotaux. Plus profonds et de plus grande taille que les aphtes buccaux, ils guérissent moins vite avec en général une formation de cicatrices. Les lésions cutanées papulopustuleuses et acnéiformes font également partie des manifestations de la maladie de Behçet.
La maladie peut également se manifester sous forme de lésions nodulaires hypodermiques qui peuvent être un érythème noueux ou le signe d’une thrombophlébite superficielle. Les atteintes cutanées sont non seulement fréquentes dans la maladie de Behçet mais persistent chez environ un tiers des patients concernés.
Atteintes articulaires et musculaires
Environ la moitié des patients atteints de la maladie de Behçet développent des atteintes articulaires. Il s’agit le plus souvent d’arthralgies non destructrices et autolimitées, en particulier des genoux, des chevilles, des poignets et des coudes.
Il peut y avoir une atteinte ligamentaire et tendineuse concomitante. L’atteinte de la colonne vertébrale et des articulations sacro-iliaques est plutôt l’exception. L’atteinte musculaire est rare et peut être associée aux atteintes articulaires. Elle se traduit essentiellement par des myalgies diffuses ou prédominant aux muscles proximaux, une myosite vraie étant possible.
Atteintes oculaires
Une atteinte oculaire s’observe dans 50 % des cas, bilatérale dans plus de trois quarts de ces cas. Dans la plupart des cas, elle apparaît environ deux ans après les premiers symptômes de la maladie. La panuvéite est la plus fréquente, les autres manifestations étant l’hyalite, les rétinites focales ou les occlusions vasculaires rétiniennes.
Atteintes cardiovasculaires
Dans la maladie de Behçet, les atteintes vasculaires souvent récidivantes touchent aussi bien les veines que les artères. Avec une fréquence pouvant atteindre 40 %, la thrombophlébite superficielle et la thrombose veineuse profonde sont en tête de liste.
Cette dernière touche principalement les extrémités inférieures et entraîne souvent un syndrome post-thrombotique. Les embolies pulmonaires sont toutefois rares. Au niveau artériel, la maladie se manifeste aussi bien par des anévrismes que par des sténoses ou des occlusions thrombotiques, notamment de l’aorte et des artères périphériques. L’atteinte des artères pulmonaires, bien que rare, est considérée comme très spécifique de la maladie de Behçet.
Environ 5 % des patients développent une atteinte cardiaque, p. ex. sous forme de péricardite, de myocardite, d’artérite coronarienne, de valvulite ou de thromboses intracardiaques.
Atteintes neurologiques
Des manifestations neurologiques, essentiellement en lien avec des atteintes du système nerveux central de type « parenchymateuses » ou « extra-parenchymateuses », s’observent dans environ 10 à 30 % des cas.
Elles comprennent
- la rhombencéphalite et
- l’inflammation du méso-diencéphale,
- la méningite,
- l’encéphalite et
- la myélite.
Elles peuvent entraîner des céphalées, des hémiparésies et des convulsions, ainsi que des dysfonctionnements neurocognitifs. Environ 25 % des manifestations neurologiques sont non parenchymateuses et, dans ces cas, il s’agit généralement de thromboses veineuses cérébrales, et traduit un chevauchement avec les atteintes vasculaires pour ce qui est de la thrombose veineuse profonde.
Atteintes gastro-intestinales
Alors qu’en Asie de l’Est, la maladie de Behçet affecte également le système digestif chez un patient sur cinq, cette manifestation est très rare en Europe (< 5 %). Elle peut entraîner des ulcères muqueux qui peuvent provoquer des douleurs, des diarrhées et des hémorragies sévères. La distinction avec les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin peut être délicate.
Thérapie
Indépendamment du type de l’atteinte, l’objectif thérapeutique est le contrôle de l’inflammation pour prévenir les atteintes organiques irréversibles, écrivent les chercheurs.
La colchicine est le traitement de première ligne des atteintes cutanées, muqueuses et articulaires. Une corticothérapie topique ou intra-articulaire en adjuvant a sa place en cas d’atteintes récidivantes.
Les bains de bouche anti-inflammatoires sont utiles contre les ulcères buccaux, l’aprémilast étant une option dans les cas réfractaires. L’azathioprine, la thalidomide, l’étanercept et l’interféron-alpha (IFN-α) se sont également montrés efficaces dans les études sur les ulcères. L’ustékinumab semble également prometteur chez les patients non répondeurs à la colchicine.
En cas d’atteintes organiques, les corticoïdes et les immunosuppresseurs systémiques sont à privilégier. En cas d’uvéite menaçant le vision, les experts recommandent p. ex. un schéma thérapeutique incluant l’infliximab ou l’IFN-α.
L’adalimumab a été approuvé par la FDA en cas d’uvéite non infectieuse. Le traitement des thromboses veineuses profondes fait appel aux corticoïdes et aux immunosuppresseurs conventionnels ou à des agents biologiques. La question de savoir si une anticoagulation est nécessaire fait débat. Le traitement des lésions artérielles fait appel à la corticothérapie à haute dose, associée à l’azathioprine, au cyclophosphamide ou à un anti-TNF. Ces traitements réduisent également le risque de complications après les interventions de revascularisation.
Selon les recommandations, le traitement des atteintes neuroparenchymateuses aiguës fait appel à la corticothérapie à haute dose plus l’azathioprine ou le cyclophosphamide – pour ce qui est des anti-TNF, il n’existe que quelques études de cas, mais elles sont positives. En cas d’atteinte digestive, le traitement fait appel aux corticoïdes, associés à l’acide 5-aminosalicylique dans les formes légères et à l’azathioprine dans les formes plus sévères. Dans les cas réfractaires, on peut recourir à des anti-TNF ou à la thalidomide.
Pour des atteintes organiques sévères, il y a un manque de données
Les auteurs regrettent l’absence de données ayant un bon niveau de preuve, en particulier en ce qui concerne le traitement des atteintes organiques sévères et potentiellement mortelles. La plupart du temps, le choix se fait entre le cyclophosphamide et un anti-TNF. Le tocilizumab est considéré comme une nouvelle option potentielle dans les cas sévères.
Le pronostic varie en fonction de la sévérité de l’atteinte. L’atteinte organique est le facteur décisif, écrivent les auteurs.
L’évolution sévère est plus fréquente chez les hommes jeunes. Globalement, le sexe masculin est associé à un risque de mortalité plus élevé (Hazard Ratio [HR] 4,94). L’atteinte artérielle et les poussées fréquentes augmentent également le risque de mortalité (HR 2,51 et 2,37). La perte d’acuité visuelle est considérée comme la complication la plus sévère.
Elle survenait dans les dix ans suivant le diagnostic de maladie de Behçet chez 25 % des patients avant le recours aux immunosuppresseurs vs environ 13 % aujourd’hui. En cas d’atteinte neurologique, le risque d’invalidité sévère ou de décès est de 25 % à sept ans et de 60 % à dix ans.
Une maladie avec gradient nord-sud
La prévalence de la maladie de Behçet varie fortement en fonction de la région géographique et de l’ethnie.
Historiquement, la maladie était surtout présente le long de la Route de la soie. Actuellement, la prévalence la plus élevée se trouve en Turquie, avec 420 cas pour 100 000 habitants. En Europe, il existe un gradient nord-sud avec des prévalences allant de 0,3 à 4,9/100 000 dans les pays du nord et de 1,5 à 15,9/100 000 dans les pays du sud.
Aux Pays-Bas et en Allemagne, la fréquence de la maladie de Behçet était plus élevée chez les immigrés des régions à forte prévalence que chez les résidents non immigrés, bien que les taux soient plus faibles chez les premiers que dans leurs pays d’origine respectifs.
- Saadoun D et al. Behçet's Syndrome. N Engl J Med. 2024 Feb 15;390(7):640-651. doi: 10.1056/NEJMra2305712