25 mars 2024Le Pr Petra Stute, médecin-cheffe adjointe, service de gynécologie, Hôpital de l’Ile, Berne

« Osez traiter les femmes ménopausées ! »

En Suisse, près d’un million de femmes de 45 à 58 ans traversent actuellement la phase difficile de la ménopause. Pour une approche structurée sur ce sujet complexe, nous nous sommes entretenus avec le Pr Petra Stute, une spécialiste de premier plan dans le domaine de l’endocrinologie gynécologique. En qualité de médecin-cheffe adjointe du service de gynécologie et directrice du centre de la ménopause, Hôpital de l’Ile, Berne, elle nous fait profiter de ses plus de 20 ans d’expérience dans le suivi des femmes ménopausées et s’exprime sur les derniers développements thérapeutiques.

«osez traiter les femmes ménopausées», dit la gynécologue PR Petra Stute.
highwaystarz/stock.adobe.com

Portrait

Pr Petra Stute
zVg

Médecin-cheffe adjointe, service de gynécologie, Hôpitaux universitaires, Berne

Le Pr Petra Stute est médecin-cheffe et médecin-cheffe adjointe du service d’endocrinologie gynécologique et de médecine de la reproduction de la clinique gynécologique de l’Hôpital de l’Ile à Berne. Elle dirige également le centre de la ménopause de l’Hôpital de l’Ile et est vice-présidente de la Société européenne de la ménopause et de l’andropause (EMAS).

À quelle fréquence voyez-vous des femmes ménopausées en consultation et quelle est la tranche d’âge la plus représentée ?
Pr Stute : Je traite quotidiennement des femmes ayant des troubles climatériques. La plupart d’entre elles ont entre 45 et 58 ans.

Qu’est-ce qui conduit ces femmes à vous consulter et dans quelle mesure leur état est-il perçu comme un fardeau ?
Les patientes viennent me consulter soit sur recommandation personnelle, soit sont adressées par des collègues gynécologues, praticiens de premiers recours, psychiatres et parfois même d’autres disciplines. La majorité d’entre elles me sont adressées par des gynécologues installés. Le fardeau des femmes qui me consultent au centre de ménopause est bien sûr lourd, car presque toutes ont déjà reçu ou essayé des traitements pour soulager leurs troubles, mais parmi elles, aucune n’est asymptomatique.

Vos patientes sont-elles correctement informées sur la ménopause ?
C’est variable. Certaines ont lu de nombreux ouvrages de vulgarisation, ont beaucoup googlé, mais les connaissances de base sur le fonctionnement du corps féminin leur font souvent défaut. Pour mieux comprendre le besoin d’informations sur le thème de la ménopause, nous avons mené une enquête en ligne auprès de femmes de plus de 40 ans, l’étude dite MENOseek, dont l’analyse des données est en cours.

Les femmes adressées par les gynécologues ou d’autres médecins sont-elles déjà sous traitement ?
La plupart ont au moins déjà essayé l’un ou l’autre remède à base de plantes. Les études sur l’actée à grappes noires ont p. ex. donné des résultats plutôt favorables en termes d’efficacité. Certains produits phytothérapeutiques sont autorisés en tant que médicaments et sont également remboursés par les caisses maladie.

Lorsque mes collègues m’adressent des patientes, c’est en général parce que l’efficacité des traitements antérieurs a été insuffisante ou parce qu’elles ont de nombreuses comorbidités qui nécessitent de préciser quelle approche fonctionnera ou non.

Et les principaux symptômes sont probablement de nature vasomotrice –, c’est-à-dire des bouffées de chaleur et sudations nocturnes ?
Pas forcément. Toutes les patientes doivent remplir l’échelle d’évaluation de la ménopause dans nos consultations. Il s’agit d’un questionnaire simple et validé qui évalue l’intensité du syndrome climatérique. Un exemple est celui de la Ménopause Rating Scale (MRS) II modifiée, développée par mon groupe de travail scientifique, que je mets volontiers à disposition pour téléchargement via le QR code. Je dirais que ce sont les symptômes d’origine centrale qui sont le plus souvent rapportés. C’est-à-dire qu’en plus des bouffées de chaleur, il y a très souvent des états dépressifs, une irritabilité, de l’anxiété, voire des troubles cognitifs.

À quel traitement avez-vous alors le plus souvent recours ?
En fait, comme elles sont nombreuses à avoir essayé d’autres approches, c’est souvent le traitement hormonal de substitution (THS). C’est en lien avec le contexte de la consultation spécialisée car globalement les taux de prescription d’hormones sont plutôt
faibles.

Faut-il songer à prescrire davantage le traitement hormonal substitutif ?
Je nuancerais. La décision de prescrire revient à chaque médecin. Je suis toutefois d’avis qu’il est important donner des informations sur le THS et d’en présenter les avantages et les inconvénients de manière équilibrée. La légère augmentation du risque de cancer du sein sous un traitement œstroprogestatif à long terme n’est que le revers de la médaille. De nombreuses données semblent indiquer que le THS permet entre autres de prévenir les fractures, le diabète et le cancer du côlon. L’information à ce sujet est très importante. J’ai l’impression que les femmes doivent se justifier auprès de leur famille ainsi que de leurs proches et connaissances de prendre des hormones. Je vois cela comme un obstacle de taille.

Quelle place voyez-vous aux nouvelles substances non hormonales telles que le fézolinétant ou l’élinzanétant ?
L’élinzanétant n’étant pas encore autorisé, je ne peux pas encore en dire beaucoup plus. Le fézolinétant, un antagoniste des récepteurs de la neurokinine-3, est autorisé par Swissmedic depuis décembre et, sur la lancée, j’ai délivré à l’une de mes patientes la première ordonnance en dehors des États-Unis.

La plupart commenceront probablement, comme moi, par utiliser le fézolinétant chez les patientes ayant un cancer du sein ou chez celles ayant une tumeur hormonodépendante, bien qu’il soit autorisé chez toute femme ayant des bouffées de chaleur. C’est certainement là que le besoin en traitement est le plus grand et que les options thérapeutiques étaient jusqu’à présent les plus rares. Il est probable que les effets du médicament seront d’abord évalués chez les patientes ayant une contre-indication au THS avant d’envisager une extension à un groupe de patientes plus large, car il traite de manière ciblée les bouffées de chaleur sans agir sur d’autres troubles de la ménopause.

Il semble être une option appropriée, en particulier pour les femmes chez lesquelles les bouffées de chaleur dominent ou qui ont des tumeurs hormonodépendantes. À mon avis, il ne remplacera toutefois pas le THS.

En ce qui concerne le traitement actuel des patientes ménopausées, quels sont à votre avis les plus grands défis ?
La sensibilisation et le conseil sont décisifs. Mais la condition préalable est surtout qu’une femme franchisse le pas et consulte un gynécologue à ce propos. La prochaine nécessité est un conseil équilibré par le gynécologue. Sans oublier que le plus grand défi est probablement que nous n’avons pas les capacités médicales pour prendre en charge le grand nombre de femmes concernées.

En Suisse, environ un million de femmes ont entre 40 et 58 ans. L’âge moyen des femmes en Suisse est ainsi de 42 à 43 ans. Cela signifie que la plupart des femmes sont à l’âge de survenue des troubles climatériques.

L’année dernière, nous avons eu près de 5000 consultations dans notre centre, le seul centre de la ménopause certifié de Suisse. Si plus d’un million de femmes en Suisse sont ménopausées et qu’au moins 60 % d’entre elles ont des symptômes nécessitant un traitement, l’offre en soins est par conséquent insuffisante.

Je pense que des solutions numériques pertinentes sont nécessaires. Je ne parle pas ici de la énième start-up qui propose des micronutriments aux femmes, mais de solutions raisonnables telles que des outils numériques certifiés pour l’éducation sous peine tout simplement de ne pouvoir pas répondre à la demande.

En effet, la prise en charge de la ménopause ne se limite pas à un traitement expéditif des bouffées de chaleur. Ainsi, lorsqu’une patiente vous dit « Docteur, j’ai des bouffées de chaleur », de lui prescrire un traitement et de la renvoyer chez elle. Loin de là ! La gestion de la ménopause ne se limite pas au traitement des troubles climatériques, il s’agit aussi de comprendre et de conseiller sur les risques de maladies chroniques non transmissibles telles que les maladies cardiovasculaires, l’ostéoporose, la démence et le cancer. Ce volet préventif fait déjà partie intégrante de la prise en charge. Les applications numériques dans le domaine de la santé (DiGA, Digital Health Applications) fondées sur des preuves y auraient leur place en soutien. À l’Hôpital de l’Ile, nous menons actuellement une étude qui doit servir de fondement à une telle DiGA.

Quel est votre message aux collègues installé(e)s ?
Il faut aborder sereinement les problèmes de la femme ménopausée ! Je comprends que l’on veuille éviter autant que possible un sujet qui nous est peu connu, en particulier lorsqu’on se concentre sur d’autres domaines de la gynécologie. Et je sais que la formation dans le domaine de l’endocrinologie gynécologique est tout simplement catastrophique. Malgré tout, je vous demande d’oser traiter des femmes ménopausées !

En cas de doute, il ne s’agit pas non plus de tout savoir. Nous devrions mettre en place des réseaux pour passer de l’échange bilatéral à un échange plus large et favoriser un processus d’apprentissage.

Mon souhait pour toutes les femmes est qu’elles puissent vivre et pas seulement « survivre en tenant le coup ». La ménopause entraîne des modifications physiques qui ont également des répercussions sociales, émotionnelles et professionnelles. C’est la raison pour laquelle il est si important d’avoir une approche proactive des symptômes afin de promouvoir et de préserver la santé des femmes.

Merci pour cet entretien !